De la présence naissent les conditions facilitatrices (ACP/Focusing)

J’expérimente lors de mes entretiens d’orientation ACP/Focusing comme ma présence est à l’origine des attitudes facilitatrices15 formulées initialement par Carl Rogers comme créatrices de la dimension thérapeutique de l’ACP. Et à l’inverse, j’expérimente aussi la différence quand je ne suis pas présent.

Je prends un moment avant un entretien pour me rendre disponible de la meilleure qualité possible ce jour là, à ce moment là. C’est un moment de recentrage et d’ancrage (+ /- un quart d’heure), de rappel de soi. Je m’aide parfois d’une écoute audio, parfois juste d’une musique particulière.

Mon corps se pose, comme si je pouvais mieux percevoir la sensation de la gravité qui me permet de me sentir posé sur la chaise. Si je cherche cela ne vient pas, tant que je ne laisse pas venir. Je me rapproche de ma respiration, je l’invite dans la région du plexus solaire, elle m’aide à rester au centre de moi, je suis les vagues irrégulières qu’elle met en mouvement. Elle m’aide dans le relâchement et la concentration. Je dégage mon espace16 au besoin pour me rendre disponible, il ne s’agit pas là de résoudre ce qui se joue pour moi. J’invite le calme et je goûte ma présence autant que possible à ce moment là. C’est un réajustement intérieur conscient, chaque fois différent relativement à mon état intérieur du moment. Il s’agit de proposer mon espace intérieur comme une caisse de résonnance, la plus ouverte, la plus libre, la plus neutre possible. Je crois que Rogers dirait que je prépare mon Self.

Je ressens le plus souvent une vibration intérieure particulière, confortable. Je me sens plus proche de l’environnement direct de la pièce et des sons qui sont là, dans une écoute globale. J’ai l’impression de voir la scène un peu d’au dessus, d’un point de vue légèrement reculé derrière ma tête, comme si mon champs de vision s’élargissait. Je sens que je suis présent. C’est quand je fonctionne à partir de cette qualité de présence que je suis réellement attentif, chaleureux, acceptant, centrée sur la personne, que j’ai authentiquement de l’intérêt et de l’estime pour elle, de la disponibilité, de l’écoute.

Pour la personne écoutée, ou le client, ma qualité de présence permet d’offrir à ce qu’elle exprime (ou à ce qui tente de s’exprimer) un espace de résonnance plus ouvert, ce qui est déjà aidant pour permettre de déposer et accueillir ce qui se vit réellement. C’est aussi pour moi la possibilité d’un champ de l’écoute plus large, plus réceptif, notamment à ce qui n’est pas dit mais qui cherche à se dire. C’est comme une écoute par le sentir, de ce qu’il y a derrière les mots, les émotions, le silence. C’est vibratoire, c’est parfois presque musical, la tonalité et la fréquence de la voix éclairant la nature de ce qui est vécu dans l’émotion et le sentiment.

De là naît également la possibilité que je sois réellement empathique, dans ma compréhension comme dans mes reformulations, puisque peut résonner en moi, en écho, ce qui résonne pour elle, je peux alors en percevoir (sentir) plus subtilement la nature, plus loin que les mots qui sont exprimés, parfois juste avant même que les mots soient exprimés. Cette résonnance intérieure donne aussi de l’ancrage à la voix, de la sûreté, de la dynamique, de l’épaisseur aux mots, ce qui vient nourrir la justesse de la reformulation empathique.

A l’écoute de la personne qui se donne là, je sens mon cœur qui s’ouvre, ma bienveillance émerger plus intensément. Je ne juge pas, je ne sais pas, je m’ouvre à comprendre, ce qu’elle vit, comment elle le vit, comment elle a fait et fait de son mieux. Parfois je sens que je suis touché, et c’est bienvenu, je suis moi aussi un Etre humain. Je fais de mon mieux pour offrir à la personne mon écoute acceptante18, pour lui offrir la possibilité d’être tout ce qu’elle est à ce moment là. Je sens que c’est cela être au plus proche de ce qu’est le regard positif inconditionnel.

Etre présent à moi en même tant qu’à la relation, c’est la possibilité de sentir ce qu’il se passe pour moi en même temps et ajuster de manière plus authentique mon intervention, mon positionnement. Je suis réceptif à ce qui se passe pour moi dans l’experiencing, comme la personne l’est pour elle-même. Et j’accueille globalement ce que cela me fait vivre, parfois pour l’intégrer dans l’échange, lui montrer que je suis avec elle, authentique, dans la recherche de congruence. Parfois il ne me paraît pas opportun d’intégrer certaines résonnances dans le cadre de la relation d’aide, ce qui appartient à l’histoire de ma vie. L’auto-dégagé d’espace « express » est parfois utile, quand c’est possible. Aussi je m’autorise désormais plus facilement à proposer une pause pendant l’entretien. J’exprime le besoin de recentrage, quand je le sens nécessaire pour la personne, ou pour moi, que nous revenions tous deux centré sur elle.

Je nourri du mieux possible cet état de présence pendant l’entretien, en y restant vigilant, et actif. Je sais que c’est un processus (encore) instable. Je m’en remets au naturel. Je m’accorde à moi-même les attitudes rogérienne, je suis à mon écoute, empathique, accueillant, bienveillant, ouvert. Je soigne ma qualité de présence, sans jugement. De la sorte j’invite implicitement le client à faire de même. Par réciprocité, la présence que je m’offre le client se l’offre pour lui-même, ce qui favorise l’émergence de la tendance actualisante. C’est en cela que je suis un « guide », un facilitateur, et non pas un conseiller, un sachant, un enseignant. Que la personne s’offre cette présence me revient en effet « feedback », comme pour nourrir la mienne. La présence grandie quand on la partage.

Quand je suis présent j’ai confiance dans le déroulement de l’entretien, quel que soit le cheminement, les détours, les impasses. C’est parce que je suis partie intégrante du processus que je suis confiant dans le processus thérapeutique. Quand je ne suis plus présent, la confiance n’est plus non plus, ou presque, elle n’est plus que conceptuelle. Inutile de chercher de la confiance en moi, comme quelque chose d’acquis à l’intérieur qui viendrait me sauver de mon doute, inutile de chercher du savoir (ou du non savoir) dans ma tête pour y trouver ce qu’il faudrait faire là. Ce n‘est pas aidant pour moi. Il s’agit que cela lâche. Lâcher cette tentative de faire. C’est une conséquence, celle de sentir que je suis présent là ici et maintenant. C’est ce qui me permet de trouver les ajustements nécessaires à la situation. Cela ne veut pas dire que cela va se faire tout seul, ca va se faire ensemble, moi et la personne accompagnée. Je renoue avec le sentiment que cela dépend plus (+) de ce que je suis, plutôt que de ce que je fais. Ce qui est aidant c’est que je donne de la place à mon humilité, à mon incertitude (confiance), à « l’inconnu qui est en moi »19.

Quand la présence est là, le chemin que réalise la personne se parcours alors naturellement, presque tout seul, il n’y a pas à agir pour agir, intervenir pour intervenir. Tirer sur les salades ne les a jamais fait pousser plus vite. La personne est à l’œuvre pour elle-même dans un cadre sécurisant et ouvert, pas seulement parce que cela est dit mais parce qu’elle le sent. Son processus d’émergence est soutenu énergétiquement, même si elle ne le vit pas consciemment comme tel.

Extrait de l’article Baldwin, M. & Satir, V. (Ed.), The use of Self in therapy, 2000, 2e édition, tiré de ACP Pratique et recherche n°10.) : 

« Avec le temps, je crois que j’ai pris davantage conscience du fait qu’en thérapie j’utilise vraiment mon self. […]. Je reconnais que, lorsque je suis intensément centré sur un client, il semble que juste ma présence soit curative, et je pense que ceci est probablement vrai de n’importe quel bon thérapeute. […] [et] j’ai tendance à penser que, dans mes écrits, j’ai peut-être trop insisté sur les trois conditions fondamentales que sont la congruence, le regard positif inconditionnel et la compréhension empathique. Peut-être l’élément le plus important de la thérapie se trouve-t-il à l’orée de ces conditions – quand mon self est présent de façon claire et évidente »20


Alexandre Jacquelin
Psychopraticien ACP/Focusing et Sophrologue
Relation d’aide – Groupes de pratique – Stages – Formation 
Présentiel- A distance – En ligne
Tel. 06 37 82 57 21
www.passerelledevie.fr

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